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Livres : discours

Projet d'abolition de Lamartine

Alphonse de Lamartine - Chambre des Députés, Paris, 25 mai 1836

Messieurs,
Dans cette grande et salutaire transaction que nous voulons préparer entre l’État, le colon et l’esclave, pour avancer l’heure de l’émancipation, pour proscrire à jamais l’esclavage, cette possession de l’homme par l’homme, cette dégradation de l’humanité à l’état de bétail humain, une chose me frappe, Messieurs, c’est que tout le monde est représenté ici, excepté les esclaves. L’état est présent ici avec toute sa puissance d’administration ; les colons ont des représentants, un budget, un trésor, des délégués, des avocats ; les noirs n’ont ni budget, ni trésor, ni avocats ; ils n’ont d’autre défenseur que nos consciences. Nous sommes obligés de nous faire leurs avocats d’office. (…)
L’esclavage n’enseigne que la servitude à l’esclave, et la tyrannie au maître.
Il y a l’infini entre le mot esclave et le nom d’homme libre. Il n’y a pas de transition de l’un à l’autre. On est possédé ou on ne l’est pas; on est une chose ou on est un homme; et comment voulez-vous que les maîtres préparent les esclaves à la liberté et les en rendent dignes, puisque le jour où ils en seraient dignes, ils n’auraient plus de prétexte pour les retenir dans leur possession ? Ainsi que nos adversaires se rassurent : modération, graduation dans l’émancipation des noirs, mais point d’ajournement. Ajourner est un droit, c’est se constituer complices d’une iniquité. (…)
À qui profite l’émancipation ? d’abord aux esclaves qui recouvrent la liberté, la famille, la propriété, la vie humaine. Ensuite aux colons qui échangent une propriété périlleuse, menaçante, sans légitimité devant Dieu ni devant les hommes, contre une propriété de droit commun, contre une propriété qui ne fait ni rougir ni trembler son possesseur. Enfin, à qui profite l’émancipation ? à la société qui rachète le principe inaliénable de la dignité humaine, et qui se réhabilite à ses propres yeux. La société, le colon, l’esclave ont donc un égal intérêt à l’émancipation.