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Livres : discours

Adresse de Benjamin Sigismond Frossard

Benjamin Sigismond Frossard - Convention nationale, Paris, 12 décembre 1792

Législateurs, (…)
Permettez à un citoyen qui dans des temps moins prospères osa élever sa voix contre l’oppression sous laquelle l’Europe retient des peuples nombreux1 , de vous offrir l’hommage de son travail, de mettre les infortunés dont il plaida la cause, sous votre protection spéciale, de solliciter, en un mot, en leur faveur, l’application de cette loi de nature qui lie les sociétés et les individus, & qui est comme le péristile du temple magnifique que vous élevez en l’honneur de la liberté & des mœurs. Je parle des Africains que nos concitoyens arrachent de leur patrie pour les condamner, dans des régions éloignées, à toutes les horreurs du plus injuste esclavage.
La traite des Nègres est le plus grand des crimes qu’un gouvernement puisse tolérer, & qu’un homme puisse commettre ; car elle suppose & encourage tous les forfaits. Ses succès sont des fléaux, ses intervalles des bienfaits de la Providence. Par elle, le genre humain est devenu une marchandise ; &, ce qui est le plus grand affront pour notre nature, on n’estime en l’objet de ce commerce, que la vigueur physique, sans porter à aucune valeur ses facultés intellectuelles ; sans supposer même qu’il puisse avoir une âme.
Je n’entreprendrai point, LEGISLATEURS, d’exciter votre sensibilité en faveur des habitants de la Guinée. Vos cœurs n’ont que trop gémi de tous les désordres qui ont amené notre glorieuse régénération, sans les déchirer encore par la peinture du plus exécrable des attentats, & par l’idée cruelle que ceux qui s’en rendent coupables sont des hommes, vos concitoyens, vos frères dans l’ordre naturel & social. Il n’est d’ailleurs aucun de vous qui n’ait souvent déploré cette violation du droit de la nature et des gens. La cause des Noirs est gagnée dans la Convention nationale, comme dans l’opinion publique. La déclaration des droits a prononcé la libération de la Guinée.
Elle a dit : ‘Tous les hommes naissent & demeurent libres’. Et cette grande vérité gravée dans tous les cœurs en caractères de feu, victorieuse de tous les efforts que le despotisme a faits pour l’effacer, devenue, par la plus mémorable révolution, le principe du code que vous préparez, condamne tout François assez barbare pour propager l’esclavage & la tyrannie, dans quelque pays que ce puisse être.
De cet axiome politique, on peut déduire les corollaires suivants qui seront la base des arguments en faveur de l’abolition du commerce des noirs, dont je prends la liberté de vous exposer l’analyse.
1/ Nul homme n’a le droit de réduire en servitude son semblable, ni même de vendre sa propre personne. La liberté est une propriété inaliénable. Aucune valeur ne peut la représenter ; & le pacte qui l’engageroit, est nul par cela surtout qu’il est injuste et inégal.
2/ À plus forte raison, nul homme ne peut être regardé comme esclave, s’il n’a pas consenti le marché, s’il n’a pas reçu le prix auquel sa liberté a été évaluée.
3/ Il n’est pas plus permis d’aller faire des esclaves dans la Guinée, qu’en Espagne, en Angleterre, ou en Italie. Toutes les nations sont unies par une loi commune, dont les conventions exclusives sont des infractions plutôt que des exceptions. »

1Note de B.S. Frossard : Les citoyens qui désirent se pénétrer de toute l’horreur qu’inspire aux cœurs sensibles la traite des Nègres, doivent lire les ouvrages éloquents de Clarkson, de Condorcet, de Brissot, de Lamartine, de Grégoire, de Clavière de Bancal, etc.